Qu’est-ce que le double regard ?

Le double regard est une notion fondamentale sur la manière dont notre esprit appréhende la réalité. A propos de toute chose se séparent deux approches : 1) Comment la chose s’est-elle constituée ? 2) Comment la chose apparaît-elle dans le contexte où elle est formée ?

En considérant toute chose comme structurée, ces regards sont deux directions de la dimension complexe : 1) Le regard ascendant (des micromécanismes moins complexes vers la chose). 2) Le regard descendant (des observateurs plus complexes vers la chose).

A la conjonction de ces deux regards se trouve une même chose, sous deux aspects très différents :

1) Pour le regard ascendant la chose est une continuité d’interactions régies par des règles. Il n’existe pas d’« éléments » puisque toute individuation est elle-même issue d’interactions sous-jacentes. L’origine (virtuelle) ne voit pas les résultats mais seulement le processus se poursuivant.

2) Pour le regard descendant la chose est un résultat, une discontinuité, une individuation dotée de propriétés particulières. Les micromécanismes sont également des individuations. La réalité des choses apparaît comme un empilement de plans d’existence.

Le regard ascendant est voisin de l’ontologie des philosophes. La différence est que l’ontologie est inaccessible. L’origine des choses n’est pas connaissable. Elle n’est appréhendée qu’à travers des représentations propriétaires de l’esprit. Autrement dit le sommet de la dimension complexe simule les micromécanismes de la base. Le regard ascendant naît bien dans le mental et non dans la réalité en soi. Il est l’expression du pôle Réel, la partie de l’esprit consacrée aux représentations de la réalité, au non-soi. Le pôle Réel, en science, est fréquemment confondu avec la réalité en soi. Le scientifique assimile son mental à l’essence des choses. Non. Il est encore un intermédiaire, sinon il n’existerait jamais d’erreurs et de corrections en science.

Le regard descendant est voisin de l’épistémie des philosophes. Il assume sa subjectivité vis à vis des choses. Mais il est complètement objectif en tant que sensations éprouvées, identitaires. Le regard descendant est l’expression du pôle Esprit, la partie de l’esprit consacrée aux représentations du soi. Univers personnel indépendant de celui du pôle Réel, variablement accepté comme imaginaire.

Les deux regards sont forcément conflictuels. Ils regardent une même séquence d’états de manière contradictoire. Pour le regard ascendant la cause est devant le résultat. Causalité privilégiée. Pour le regard descendant le résultat est devant la cause. Finalité privilégiée.

Le conflit entre les deux regards est inévitable et nécessaire. C’est par lui que la chose n’est pas réduite à l’un de ses aspects (ce qui empêcherait de l’appréhender entièrement). La chose en soi n’est pas accessible, mais le double regard permet de la cerner. Rien n’est oublié. L’esprit cherche d’une part à s’éprouver comme la chose et d’autre part à la comprendre. C’est ainsi qu’il peut recréer la complexité de la chose, sans perdre de vue de ce qu’elle est en tant qu’entité.

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Maigrir

Aucune semaine de carrière médicale n’est passée sans que j’entende, dans la bouche d’une patiente en surpoids manifeste : « Pourtant vous savez, docteur, je ne mange presque rien ! » Pourquoi aller au conflit ? Elle l’est déjà avec elle-même, avec son propre bon sens. Je soutiens gentiment celui-ci. « Nous n’absorbons pas l’air ambiant. Il y a des entrées et des sorties. Calories ingérées et brûlées. La balance chez vous n’est pas bonne ».

Le domaine alimentaire montre la conscience comme passagère à bord d’un corps bondé d’automatismes. Peur du manque, cachée. Les mains ramassent à notre insu tout ce qui traîne. En train de rêver sur le pont de 1ère classe, la conscience ne perçoit rien des névroses et misères des ponts inférieurs.

Chez beaucoup de gens privés simplement d’empathie, l’inconscient réagit en accaparant ce qui reste disponible. Nourriture, corne d’abondance actuellement la plus accessible. Les cales se remplissent, le bateau reste à quai. Doté à l’intérieur d’une armée de constructeurs, il se dote de cales supplémentaires. Le corps enfle.

Pourquoi ne gonflons-nous pas de manière illimitée lorsque les entrées sont continuellement en excès ? Une compensation opère. Le corps dépense une énergie croissante à déplacer son énorme masse. Il brûle davantage de calories. La prise de poids ralentit et trouve un nouvel équilibre. Du moins chez ceux qui se déplacent encore. Les handicapés immobilisés n’ont pas de réelle limite. C’est la fonction cardiaque qui finit par atteindre la sienne.

Un ralentissement guette aussi celle qui cherche à maigrir seulement par la dépense physique. Elle atteint un seuil où le poids ne descend plus. Elle devrait augmenter exponentiellement sa dépense de calories pour continuer à perdre. Le plus raisonnable est de commencer à s’occuper des entrées.

Rien ne remplace, en cette matière, les conseils d’une diététicienne. La condition du succès ? Que notre conscience soit vraiment aux commandes, au lieu de chercher à cacher son impuissance à son entourage. Et si je faisais un petit reportage sur moi ? Vérifions les faits. Plaçons donc quelques webcams dans la maison et laissons tourner une semaine. Voici ma conscience enfin équipée de son système de surveillance.

Pas besoin de garder la CIA longtemps en éveil. Une fois ma conscience enfin au courant des réalités, elle va enfin reprogrammer correctement mes automatismes. L’inconscient n’est pas un cerveau second rebelle. Seulement un animal instinctif assez obtus et lent à rééduquer. Cela a des avantages. Un tel conservatisme fonde la continuité de ma personnalité. Et la protège. Ma conscience sait-elle toujours correctement le bricoler ? Parfois il a raison de résister. Notre intuition nous le fait savoir.

Maigrir, c’est gagner du contrôle sur sa vie, et avoir l’intuition que tout se passe bien.

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Qu’est-ce que le féminin et le masculin ?

Nous connaissons un dualisme franc, femelle/mâle, le sexe génétique. Il fonde une organisation complexe aboutissant à l’humain adulte. A cet étage le dualisme femme/homme est plus flou. Il a pu s’inverser, ou créer des catégories intermédiaires. Le genre a remplacé le sexe. Sans être complètement indépendant. Quel est alors le principe reliant sexe génétique et genre ? Comment le suivre dans le chemin qui sépare génétique et conscience de genre ?

Les paradigmes de nos gènes et nos consciences sont tellement séparés qu’il faut s’interdire d’appliquer l’un à l’autre. La biologie moléculaire ne rend pas compte du genre, les désirs conscients n’expliquent pas le jeu des chromosomes. Supposons que ces paradigmes, s’ils sont reliés, relèvent d’un principe plus fondamental que j’utilise constamment dans Surimposium : le conflit individu/collectif.

Rappelons que ce conflit n’est pas entre ‘moi’ et ‘les autres’, mais un dualisme présent dans chaque individuation, d’un côté “ce qui veut se séparer”, de l’autre “ce qui fait partie du reste”, par ses relations. Je suis ‘moi’ et aussi ‘partie du tout’ formé avec le reste. Le titre exact de ce conflit est : soliTaire versus soliDaire (T<>D).

Appelons ‘masculin’ le versant soliTaire de ce dualisme, et ‘féminin’ le versant soliDaire. Voyons ce qui en émerge.

La génétique est un produit de l’évolution. Les gènes mutent et survivent par la sélection des espèces. L’individu est capital pour l’espèce. Chacun est un nouveau modèle susceptible de montrer des talents décisifs. Le collectif est tout aussi essentiel. Les talents se répandent par coopération et mimétisme. L’évolution tend ainsi à exacerber les deux postures, soliTaire et soliDaire. Les individus forment des sociétés. La manière dont ils l’organisent pour équilibrer les deux postures antagonistes fait la compétitivité de l’espèce.

Cet équilibre, nous le retrouvons dans les gènes. Le dualisme du sexe marque l’exacerbation des postures soliTaire et soliDaire. A charge de chaque individu, ensuite, de les faire dialoguer en soi, puis au sein de ses congénères.

Le versant soliTaire est ‘masculin’, ai-je postulé. Se démarquer des autres par ses performances. Ma survie avant tout. Répandre ma semence le plus largement possible. Toutes ces incitations sont individualistes. Soutenues par une agressivité naturelle. J’impose mes choix. Le versant soliDaire est ‘féminin’. Prendre soin de la progéniture. Trouver le compagnon qui sait protéger. S’intégrer aux autres. Faire du groupe la cible majeure de la survie. Incitations collectivistes, soutenues par l’empathie et la compassion. Je me mets à la place de l’autre. Ses souffrances sont les miennes.

Nous voici munis d’emblée, par la génétique, d’un versant dominant : masculin chez les XY, féminin chez les XX. La physiologie du XY lui fait montrer davantage d’agressivité, de désir de se singulariser. Celle du XX l’encourage à travailler pour les autres, de progresser en réduisant les inimitiés. Le masculin comme le féminin parviennent à se faire admirer… parce que nous en possédons tous une part qui leur est sensible.

Que deviennent ces incitations initiales avec la maturation ? Une société est une culture existante, c’est-à-dire la gestion des rapports masculin/féminin depuis des générations. Organisation longtemps fondée sur le phénotype sexuel. Un souci, déjà, pour ceux qui correspondent mal au phénotype habituel de leurs gènes. Garçons efféminés et filles à forte carrure. C’est un handicap dès le jeune âge. Une partie de l’entourage leur projette une place classique. Mais le reste forme une image discordante. Des brimades, déceptions, agressions à motif sexuel, fâchent éventuellement avec le genre qu’on veut nous attribuer. Au point de se sentir étranger à notre sexe génétique. Mais qu’est-ce qui est véritablement propriétaire dans la manière complexe dont cette sensation s’est formée ?

J’ai l’impression d’être davantage moi-même quand je me suis rebellé contre une influence étrangère. Mais si je suis devenu complètement différent du moi qui n’aurait pas vécu cette rencontre, le nouveau moi est-il vraiment ma propriété ou celle de l’étranger ? Sans doute dois-je admettre au moins que je la partage avec lui.

La lutte pour l’égalité des sexes vise à l’harmonisation des droits individuels. Qu’oublie-t-elle de fondamental ? Qu’il est également essentiel d’harmoniser les devoirs individuels. Dans la relation entre nos parts soliTaire et soliDaire, les deux directions sont importantes. Si nous renforçons le pouvoir d’une partie des individus au sein du tout, il faut trouver pour la société un renforcement équivalent face aux individus, sinon un déséquilibre est créé.

Manifestement, c’est ce qui s’est produit avec le mouvement féministe. Les militantes se sont préoccupées uniquement d’obtenir pour les femmes des avantages individuels équivalents aux hommes. Elles n’ont pas exigé des hommes qu’ils développent leur âme solidaire. Comment auraient-elles pu le faire, alors que la démarche obligeait à mettre la leur en veilleuse ? Pas d’autre moyen. Gagner du pouvoir pour soi c’est inévitablement récupérer de celui qu’on a abandonné aux autres. La tendance a été accentuée par l’élitisme des premières militantes. Elles ont du s’extraire d’une masse féminine largement collectiviste, c’est-à-dire d’après les critères de l’époque : soumise. Une seule voie a semblé pertinente à ces intellectuelles : exalter les valeurs individualistes chez leurs consoeurs. Une autre était possible, à la Gandhi : encourager une résistance passive et générale des femmes face aux abus de l’égotisme masculin. Refuser d’assurer les tâches familiales et communautaires habituelles. Que le chaos consécutif montre la portée du collectivisme. Que les hommes réalisent la nécessité de cette part en chacun, non délégable aux autres.

Mais la culture occidentale est trop fondée sur l’affrontement individuel pour que cette politique ait été choisie. Un siècle de lutte militante a presque haussé les droits individuels des femmes à ceux des hommes. Parallèlement s’est effondré le collectivisme naturel, qu’elles supportaient pour l’essentiel. La société est aujourd’hui celle de l’individu-roi, obligé d’être rappelé à ses devoirs solidaires par une législation carcérale. Très peu d’entre nous donnent ou partagent spontanément. Et ceux qui le font ont l’impression croissante d’être dindons naïfs, parce que leurs efforts sont une dilution homéopathique dans un vaste océan d’indifférence. La société n’est plus symbole d’une solidarité empathique mais vaste administration gérant la répartition des droits individuels. Parce que le collectif a régressé dans nos esprits, son seul support matériel. La solidarité n’a d’autre emplacement que la fusion de nos parts solidaires.

Le masculin a dévoré le féminin. Il dominait chez les XY. Le voici avec la même arrogance chez les XX. Le féminin devenu évanescent, il ne faut plus chercher à l’associer à un phénotype. Le genre a ceci différent du sexe qu’il est devenu trait de personnalité parmi d’autres. Il n’est plus le caractère central qui coordonnait les attitudes des générations précédentes. Désormais ne nous étonnons pas d’un égotisme abrupt chez une femme ou d’une mansuétude outrancière chez un homme. Les tendances physiologiques sont effacées. A quel point ce gommage est-il un diktat culturel inverse du précédent ? Difficile à dire.

Plus fautifs que les féministes dans l’effondrement du collectivisme : les hommes de pouvoir, qui n’ont rien fait non plus pour inciter les mâles à amplifier leur part solidaire. Les machos se sont barricadés. Se disputer avec un nouveau bataillon d’individualistes en jupon, ils savent faire. La bagarre est leur domaine. Mais devenir eux-mêmes plus féminins, pour couper court à la vague d’agressivité de ces dames ? Impensable. Un reniement de soi. Un renoncement aux avantages acquis. Acquis ? Pas vraiment. Donnés à la naissance par une société profondément patriarcale.

Les sages n’ont fait que freiner la tendance égotiste générale pour laisser la société s’organiser en conséquence. Personne n’a averti que l’équilibre final aurait une couleur plus sombre, moins humaine, celle d’un consensus entre prédateurs. Un monde où la solidarité serait gérée et non plus éprouvée. Critiquer le combat féministe est dénoncé systématiquement comme anti-féminisme alors que c’est, de la manière que vous lisez, un anti-combat. Que femmes et hommes se rejoignent ne veut pas dire transformer les premières en seconds. Ce n’est pas une masculinisation générale de la société qui est recherchée.

Qui d’autre aurait pu défendre le collectivisme ? Le rôle semble dévolu à l’église, héraut théorique du vivre ensemble. Mais la foi chrétienne a cessé rapidement, après sa création, d’être une bousculade. Elle a passé des traités avec les pouvoirs terrestres, devenant médiatrice du conflit entre ego(s) et Dieu symbole du collectif. Longtemps patriarcale, elle semblerait indécente à critiquer les efforts des femmes pour s’extraire de leur gangue de soumission. Sa tâche était d’exhorter continuellement les hommes à s’en préoccuper. Nos soeurs ont autant de valeur que nos frères. Pourquoi cela ne s’est-il pas vu dans la vie terrestre pendant des siècles ? Dieu semble bien le reflet de ses créatures plutôt que l’inverse.

Pauvre féminité. Elle n’a plus bonne réputation chez les féministes, qui la définissent comme un « héritage séculaire de disponibilité sexuelle, dévouement maternel et dépendance matérielle ». Penchons-nous de plus près : c’est exactement la définition du collectivisme, du souci envers l’autre prenant le pas sur le souci de soi. En répudiant la féminité, les féministes se débarrassent également de tâches solidaires classiquement assurées par les femmes, entrave à leur réalisation personnelle. Qui va désormais former le ciment du collectif ?

Le terme de ‘machisme féminin’ vous semblera peut-être exagéré. Et pourtant il est devenu naturel chez nos contemporaines. Un exemple ? Je cite Gabrielle Suchon, relayée par Philomag : Les femmes hétéros embrassent le célibat volontaire. Le couple hétérosexuel peut-il être sauvé ? Pas sûr, répondent de plus en plus de militantes féministes. L’autrice réalise-t-elle que son admonestation est le discours radical des mâles célibataires depuis quelques décennies ? Elle taille dans la blessure déjà ouverte par les plus égotistes d’entre eux sur la vie en couple. Cibler les hétérosexuels n’épargne pas les homosexuels. La vie partagée est l’acceptation des différences. Comment sauver l’idée du compagnonnage si le principe même de l’altérité est attaqué ? Féministes et machos narcissiques côte à côte pour découronner puis décapiter la molécule sociale élémentaire !

Ce n’est pas une surprise, puisque tous sont hérauts du masculin. Ils s’attaquent au cercle élémentaire du féminin, de la fusion première avec l’autre. Cette base détruite, le reste de l’édifice social suivra. Plus de conscience collective pour imposer ses diktats à notre ego. Plus de solidarité obligatoire s’imposant à celle que nous n’éprouvons plus.

Voyons de plus près cet archaïsme menacé, le couple. En tant que rouage fondamental, il montre parfaitement comment fonctionne le collectivisme. Le couple est un tout formé par les deux esprits membres. Virtuel mais pas davantage que ces deux esprits. Je suis moi et j’appartiens à un couple. Son existence est une indépendance authentique et mérite un nom tiers. Je l’appelle le « Troisième Larron ». Larron ? Un voleur, le couple ? Bien sûr. Il vole à chacun une partie de son indépendance pour constituer la sienne. Nous acceptons une perte de pouvoir individuel, pour en gagner davantage, conjointement propriétaires de cette puissance supérieure. Pouvoir bonifié par la mise en commun des moyens, et surtout leur coordination qu’il faut améliorer par une réflexion permanente. Le Troisième Larron est agitateur de l’esprit. Chariot élévateur !

Du moins il joue ce rôle si le couple est bien compris comme fusion et non appropriation de l’autre. La mauvaise réputation du couple vient de sa compréhension erronée. Qu’est-ce qui m’attend ? Je ne suis pas en train de m’offrir un smartphone ou un objet d’art. Je cherche la personne qui va profiter de la fusion autant que moi-même. Car c’est son augmentation de pouvoir à elle, additionnée de la mienne, qui fortifie le Troisième Larron. Dans toute association, je me renforce des moyens volontairement unis aux miens, pas des esclaves contraints. Moins j’utilise de pressions, plus je renforce le Troisième Larron ; plus je vois de candidatures spontanées pour y participer.

Il a existé des périodes où le nombre d’engagés n’était pas sévèrement encadré 😉 Malheureusement pour mes lecteurs tentés par le poly-amour, ces communautés conjugales ne fonctionnent qu’entre personnes foncièrement collectivistes. Devenu difficile avec l’essor contemporain de l’individu-roi. Même le couple classique culbute.

Ceux qui pensent que le couple n’a rien d’une contrainte n’ont jamais rien saisi de sa présence. Ou bien ils sont tellement assimilés au Troisième Larron que l’ego est zappé. Cas des couples très fusionnels, récemment formés. Pour les autres, le couple est bien une présence qui s’invite dans leurs décisions. Pas un tyran. Un niveau de conscience supérieur qu’ils partagent volontairement avec l’autre. Amorce d’un engagement collectiviste plus large avec les gens qui nous entourent. Êtes-vous prêt à aller plus loin ? Nous pouvons supposer que ceux qui refusent d’abandonner du pouvoir au couple ne seront pas plus enthousiastes pour en donner à la société. Leur désengagement du devoir individuel est déguisé en “lutte pour les libertés individuelles“. Grands mots du masculin destinés à écraser le féminin. Maintenant nous avons autant de femmes que d’hommes pour les prononcer.

Apprendre à désincarcérer la féminité. Maîtriser la masculinité. Les hommes, parce qu’ils en ont été longtemps esclaves, sont aujourd’hui les plus nombreux à avoir réussi. Ils attendent que davantage de femmes démilitent et les rejoignent.

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Effets secondaires après vaccin anti-COVID

Certaines infox circulant sur le vaccin utilisent une méthode particulièrement vicieuse. Des études parfaitement officielles sont interprétés de manière scabreuse. Le sceptique est envoyé à l’authenticité des chiffres. Prenons l’exemple du signalement des effets secondaires après vaccination. Il est extrêmement élevé, jusqu’à plusieurs centaines de milliers de signalement pour certains. L’affluence est telle que les centres de pharmacovigilance sont débordés. Une responsable a appelé à « ne plus signaler les effets connus et bénins », aussitôt accusée par les antivax de vouloir dissimuler la dangerosité du vaccin. Alors, quelle est la réalité de ces effets secondaires ?

Réels ils le sont, c’est une certitude. Impossible de traiter d’affabulateurs des centaines de milliers de personnes. Mais s’agit-il d’effets du vaccin ou du fait d’avoir été vacciné ?

Une catégorie d’effets provient authentiquement du vaccin et est attendue : douleur au point d’injection, syndrome grippal et asthénie dans les jours ou semaines qui suivent. Rappelons le rôle du vaccin : sonner l’alarme dans l’organisme contre un microbe avant qu’il soit rencontré et que la bagarre devienne mortelle. Que l’organisme réagisse n’est donc pas inquiétant mais rassurant : le message est passé. Ce type d’effets secondaires caractérise les mieux protégés après vaccination. Sans doute les concernés peuvent-ils retarder davantage un rappel futur du vaccin. Signalisation positive et non pas négative.

L’autre catégorie d’effets est dite indésirable. L’immense majorité d’entre eux sont bénins et quelques-uns graves. Comment savoir s’ils sont liés au vaccin, à l’acte de vacciner, ou au hasard ?

Différencier vaccin et acte de vacciner se fait par des études en aveugle. Un groupe reçoit le vrai vaccin et l’autre une injection d’eau salée. Tous n’ont qu’une seule certitude : ils ont pu recevoir un vaccin expérimental. Que se passe-t-il ?

Réponse dans le dossier du vaccin Pfizer proposé à la FDA en décembre 2020 pour autorisation. L’étude pilote a concerné plus de 43.000 personnes. Les effets secondaires ? En nombre voisin dans les deux groupes, vrai vaccin et placebo. Certains sont logiquement plus fréquents dans le groupe vaccin, liés à son rôle immunisant : 3,7% des vrais font une fièvre > 38°C (mais aussi 1% des faux!), 45% des vrais éprouvent fatigue et mal de crâne (mais aussi 33% des faux!), 20% des vrais prennent un anti-douleur/fièvre après l’injection (mais aussi 12% des faux!). Les effets peu liés au rôle immunisant et seulement à l’acte de vacciner sont en nombre comparable : 1,2% de vomissements et 11% de diarrhée dans les 2 groupes.

Retenons au total qu’un tiers des vaccinés avec de l’eau salée ont ressenti des effets secondaires justifiant un signalement. Effets auto-déclenchés, donc. Effet nocebo sur soi entièrement lié à l’inquiétude de recevoir un vaccin expérimental.

Transposons ces chiffres à la population française déjà vaccinée (50M). Le nombre d’effets indésirables, un tiers, représente plus de 16 millions de signalements potentiels ! Rapportons ce chiffre au discours antivax : « 1.074.200 cas d’effets secondaires en lien avec les vaccins anticovid sur sa base de données VigiAccess rien qu’en Europe ». Ce million n’est pas « énorme » mais énormément inférieur à ce qui est attendu. Heureusement la plupart des vaccinés restent insensibles à la paranoïa des antivax et ne signalent pas les effets bénins. L’effet nocebo se réduit également à mesure que le nombre de doses injectées augmente. Très puissant pour les premières 34.000 personnes, il s’affaiblit aujourd’hui après 6 milliards de vaccination.

Qu’en est-il des effets secondaires graves ? Ils existent. Tout traitement en a potentiellement. Mais leur réalité est d’autant plus difficile à établir qu’ils sont rares. Prenons 50 millions de personnes et vaccinons-les en l’espace d’un an. Sont-elles entretemps devenues réfractaires aux autres maladies ? Non. Un vacciné n’est pas devenu invulnérable. Les maladies graves prélèvent leur lot de victimes, même davantage en raison des perturbations du système de santé. Des vaccinés vont mourir, mais pas du vaccin. Comment repérer parmi eux d’authentiques complications de la vaccination ?

Le lien temporel ne suffit pas. Il faut connaître l’incidence habituelle de la complication, la comparer aux vaccinés. Ainsi le vaccin AstraZeneca a-t-il été reconnu probablement coupable de thromboses vaccinales, en nombre très faible : 0,00084 % des injections. Faut-il s’en inquiéter et renoncer à la vaccination ?

Traitons le problème pour l’ensemble des effets secondaires graves attribuables à un traitement. Il s’agit en effet d’une balance bénéfice/risque. Quelles sont les gravités de l’affection traitée d’une part, du traitement de l’autre ? Des médicaments hautement toxiques sont utilisés couramment contre les cancers, parce qu’ils sont le seul espoir de sauver la personne.

Un exemple très proche des vaccins est celui de la ceinture de sécurité. La probabilité qu’elle vous sauve la vie en cas d’accident est très supérieure à la probabilité qu’elle vous la coûte (mieux vaut être éjecté si la voiture tombe dans un ravin). Mais nous ne réfléchissons pas à cet effet secondaire. Les statistiques sont clairement en faveur de la ceinture. Pourtant, avant qu’elle soit rendue obligatoire, les anti-ceintures étaient nombreux. A leur décharge, ils étaient moins dangereux que les antivax ; ils n’ont jamais cherché à dissuader les autres de porter leur ceinture…

La situation est la même pour le vaccin. Sa réduction de mortalité par COVID est largement démontrée, sauf dans l’esprit de quelques experts auto-proclamés. Les effets secondaires létaux sont absents ou en nombre infime selon les formes commercialisées. L’intérêt d’une vaccination généralisée n’est pas contestable, surtout quand c’est justement sa généralisation qui la rend efficace.

Mais revenons sur une question importante : pourquoi des effets graves en nombre infime déclenchent-ils une hystérie collective ? Après tout il y a bien davantage de morts quotidiennement par accident de la route. Les gens ne cessent pas pour autant de monter dans leur voiture. Les avantages sont supérieurs aux inconvénients. Comment 27 cas de thrombose liées à l’AstraZeneca parviennent-ils à provoquer la panique ?

La manière dont je vous ai présenté les choses met en évidence un biais cognitif. 27 cas ou 0,00084 % de thromboses ont des effets très différents dans notre esprit.

Le cerveau humain est conçu évolutionnairement pour gérer la taille d’une tribu. Bien qu’il ait conçu des outils mathématiques remarquables pour gérer les grands nombres, l’humain n’a pas les capacités de gérer une infinité d’informations. Il peut représenter en détail plusieurs dizaines de personnes. Au-delà il s’agit seulement d’un nombre croissant de congénères indifférenciés. Les conséquences des chiffres sur l’esprit sont très variables selon qu’il sont bruts ou des pourcentages. « 27 cas » est menaçant, pas « 0,00084 % ».

Notre cerveau ne rapporte pas les 27 cas aux 3,2 millions de personnes vaccinées. Il n’est pas conçu pour traiter l’ensemble comme des individus d’importance égale à soi, sauf de manière abstraite. Émotionnellement, il rapporte les 27 cas à la taille d’une tribu. Ce qui est énorme. Le danger est effrayant.

Tandis que le 0,00084 % est une statistique ; elle n’implique pas des personnes précises. Le cerveau l’associe cette fois correctement au très grand nombre d’individus, qui restent à l’état mathématique. La peur n’est pas éveillée.

Du moins elle ne devrait pas l’être davantage que par les nombreux traitements pris couramment sans réticence, toujours susceptibles  de produire exceptionnellement un effet secondaire grave. Qui sait que l’on peut mourir d’une simple prise d’ibuprofène par hypersensibilité (DRESS) ?

Le biais cognitif de la tribu est l’un de ceux utilisés par les antivax pour manipuler nos esprits.

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Natalité et climat

La croissance démographique fait-elle partie des bombes à retardement qui menacent la planète ? Non, affirme Marie Degrémont dans La Recherche. « Les États dont la fécondité est la plus élevée sont aussi ceux qui ont le taux d’émission de CO2 par tête le plus faible ».

Mais j’ai du mal à trouver une cohérence aux projections de Marie. L’Inde et le Nigeria vont gagner chacun 200 millions d’habitants en 30 ans. Marie commence par supposer que le mode de vie des Indiens et des Nigérians ne va pas évoluer pour calculer une augmentation annuelle de 360 MtCO2 (millions de tonnes de CO2) et 136 MtCO2, qui restent très modestes comparées aux émissions des pays riches.

Marie continue avec un autre argument rassurant : la croissance démographique de ces pays va se ralentir à mesure qu’ils se développent. Relation fécondité/niveau de vie. Malheureusement ce facteur agit en sens inverse du précédent. Le mode de vie va changer, tendre vers celui des pays développés. En 2050, sera apparue en Inde et au Nigeria une population supplémentaire plus importante que celle actuelle des USA. Tous ces gens auront cent ans pour tenter d’accéder à la consommation (et aux émissions) des pays riches. On ne peut que leur souhaiter de réussir.

Ces populations équatoriales ont aujourd’hui une consommation d’énergie faible parce qu’elles n’ont pas besoin de se chauffer. Elles auront par contre la nécessité impérative de se refroidir. Le réchauffement rendra de larges zones invivables sans logements climatisés.

Marie Degrémont a raison de souligner que le salut viendra surtout des changements d’habitudes et des progrès technologiques, mais il faut conserver la natalité dans les bombes à retardement planétaires. Les vieux seront trop nombreux ? C’est vrai, mais en meilleure santé et encore à l’ouvrage plutôt que nécessitant une aide de vie, faut-il souhaiter à la majorité d’entre eux.

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La pandémie de Covid-INFOX

Dans l’article précédent, je n’ai pas voulu entrer dans la bagarre infos/infox à propos de la Covid-19. Tant de choses à passer en revue. Les blogs de vrais journalistes scientifiques sont mieux équipés pour répondre. Cependant quelques conseils diminueront votre vulnérabilité face au tsunami de données associées au virus.

Un biais cognitif empêche la résolution du conflit provax/antivax : l’esprit indécis est bien plus attentif aux informations négatives que positives. Faire peur l’emporte aisément sur rassurer. La valeur des infos devient ainsi sans importance par rapport à leur teneur. Prolonger son temps passé sur les réseaux amplifie mécaniquement la charge d’information négative, avec les angoisses qui l’accompagnent.

Le bon sens, plus éveillé quand vous réfléchissez seul, reste précieux pour différencier les infos des infox. Commençons toujours par nous fonder sur ce que nous savons des virus et des vaccins en général. L’info nouvelle est-elle cohérente ? Ai-je un noyau savant suffisamment établi pour l’apprécier ? J’en arrive ainsi à la cause de cette autre maladie saturant la planète en parallèle au virus : la pandémie de Covid-infox.

Cette pandémie virtuelle a touché une population dépourvue de bonnes connaissances préalable en virologie et en épidémiologie.  Pas de savoir, pas d’anticorps contre les infox. Population “non vaccinée” très vulnérable à la contamination massive orchestrée par les antivax.

Cette pandémie régressera comme l’autre, à mesure que les infos objectives atteignent la célébrité nécessaire. Mais il persistera des poches endémiques. Territoires conspirationnistes cultivant l’infox, se contaminant par des likes. Pas de traitement connu pour cette virose-là. Aucune immunité collective possible, et c’est une bonne chose, puisque c’est ainsi que les idées alternatives survivent. Mais nous devons rester critiques. Est-il acceptable que la survie des idées menace celle des personnes ?

Vous rencontrez chez les antivax des idées assez suspectes, comme la satisfaction à peine voilée de voir la planète se dépeupler (débarrassons-la de trop de présence humaine pour la sauver), ou l’espérance de régression technologique au profit d’un mode de vie plus naturel (parce que les vaccins et la science auraient échoué à nous sauver).

Tout cela est bien éloigné de la médecine, qui consiste simplement à soigner et laisser les gens choisir quoi faire de cette vie qu’on a sauvée…

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Les philosophes et la souffrance animale

Le propre de la philosophie est prendre en compte toutes les dimensions du discernement humain. S’émouvoir en fait partie au même titre que raisonner. Les philosophes contemporains s’émeuvent donc sans hésiter devant la souffrance animale. Mais ce faisant, ne contredisent-ils pas la raison ?

Les philosophes de la souffrance animale ont communément opéré une glissade : ils pointent l’intolérance qu’il faut avoir à la souffrance de son semblable et la transfèrent sans hésiter à l’animal. L’opération est ensuite prestement dissimulée. Sensibilités humaine et animale sont encapsulées ensemble dans « la » souffrance.

Jeremy Bentham dit ainsi des animaux : « La question n’est pas: “peuvent-ils raisonner ?”, ni “peuvent-ils parler ?”, mais “peuvent-ils souffrir ?” » Non, cher Jeremy, vous vous êtes arrêté en chemin ; la question suivante est : “Peuvent-ils souffrir comme des humains ?”

Kant, chantre inégalé de la raison, ne fait pas cet amalgame. Il critique la cruauté envers l’animal parce qu’elle met en danger l’empathie pour nos propres congénères. Kant a conscience de ces vases communicants que sont les sensibilités humaine et animale, mais il ne les confond pas.

Prophyre exacerbe même les différences. « Mettre sur le même pied plantes et animaux, voilà qui est tout à fait forcé ». Les seconds ressentent, craignent ; les premières n’ont pas de sensations. Prophyre voit les écarts entre les grandes classes du vivant. Mais n’y aurait-il pas des écarts entre animaux, voire entre humains ? Les animaux ressentent-ils l’injustice, le dommage moral ? Il est permis de douter de l’universalité de ces sentiments, puisqu’ils sont faibles ou absents chez une partie non négligeable des humains, malgré que tous soient équipés du même cerveau.

Les classiques comme les contemporains tendent à généraliser l’animal comme ils généralisent à tort l’humain. La question finale à poser pour Bentham n’est pas seulement « Qui souffre? » mais « Qui fait souffrir ? »

L’humain irresponsable ne fait-il qu’ignorer la possibilité de souffrance animale ? Il pèche par méconnaissance. Mais que savent vraiment ceux qui prétendent en avoir connaissance alors qu’ils en font transfert ?

L’humain rustique calque-t-il sur l’animal sa propre insensibilité à la souffrance ? Il procède de la même façon que le tendre calquant son hypersensibilité.

L’humain névrosé épanche-t-il son amertume en déclenchant sciemment une souffrance animale dont il a connaissance ? Pauvre bête choisie comme succédané au responsable de la névrose, hors d’atteinte. La souffrance animale n’est pas vraiment éprouvée par son auteur. L’animal est chosifié en tant qu’acteur dans le théâtre de cet esprit malade.

Ces cas de figure ne sont-ils pas terriblement contrastés ? Ils sont pourtant confondus dans une déclaration générale telle que :  « La souffrance animale inutile est évitable ». Comment dire la souffrance chez l’animal quand elle est déjà difficile à verbaliser chez l’humain ? Cette difficulté doit-elle pousser par défaut à les rendre semblables ? Qu’est-ce qu’une souffrance utile/inutile ? Pour qui ? Que faire devant ceux qui, loin de l’éviter, la provoquent intentionnellement ? Et s’ils exorcisent ainsi des cruautés pires envers leurs semblables ?

Je me contente ici de reposer le problème dans le cadre du Surimposium. Il s’agit d’une pyramide de niveaux d’information sur lesquels il faut enquêter indépendamment. Certains philosophes contemporains (Singer, Kymlicka, Donaldson) font exactement le contraire avec une idéologie qui les efface. Chez eux, un diktat surnage : « Mettons fin à la souffrance animale parce qu’elle est la nôtre ». Bourde grossière, surtout parce qu’elle suppose au préalable que la souffrance humaine serait homogène. Nous sommes loin de l’avoir rendue ainsi. Cette idéologie ne peut que détourner des efforts à réduire la souffrance que nous sommes réellement aptes à comprendre : l’humaine.

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PROvax ou ANTIvax ?

Pourquoi ce conflit insoluble ?
Anarchie ou démocratie ?
Intérêt individuel versus collectif
Les arguments défendables des antivax
Préventif collectif, individuel, et curatif
La foule ne s’est-elle pas auto-confinée ?
L’immunité collective n’est-elle qu’une gageure ?
Quelques arguments provax moins connus

Pourquoi ce conflit insoluble ?

Débat difficile avec le durcissement des parties. Cependant il ne s’agit pas du même type de radicalisation : individuelle chez les antivax, « Je ne veux pas me faire vacciner », collective chez les provax, « La vaccination n’a de sens que largement suivie ». Deuxième point important : acceptation et refus ne sont pas des contraires. Ils ont chacun leurs motivations et relèvent de parties différentes de la personnalité.

Ma place ? Médecin accueillant les gens dans un centre de vaccination, j’ai rencontré tout l’éventail des opinions, de l’enthousiaste se précipitant pour sa 3è injection dès l’ouverture, au désapprobateur se résignant pour éviter de perdre son boulot, en passant par le circonspect chahuté par les infos contradictoires. Bien sûr je n’ai pas affaire au noyau antivax militant, mais le connais pour avoir deux collègues qui en font partie. Précision supplémentaire : je n’ai pas été provax de la 1ère heure, et pense encore que la politique de protection sélective des personnes à risque aurait été préférable. Du moins au début, car aujourd’hui ce n’est plus le cas. Le collectif s’est auto-condamné à la vaccination de masse. Mais n’allons pas trop vite.

Anarchie ou démocratie ?

La crise Covid a révélé une évolution majeure de la société : la plupart des gens pensent vivre dans une anarchie et non une démocratie. L’anarchie n’est pas un désordre ; c’est un système où les citoyens s’octroient des responsabilités et des pouvoirs similaires. Pas de chef, pas d’esclave. Tout se décide par accord entre égaux. Si la négociation échoue, chaque minorité vit à sa façon, sans tenir compte de l’opinion des autres, et assume les conséquences de son choix. La minorité peut se réduire à un individu solitaire. Même l’ensemble de tous les autres n’a pas barre sur lui, pas dans une anarchie.

La démocratie est différente sur deux points : l’avis de la majorité s’impose à tous ; et il existe une hiérarchie représentative exerçant le pouvoir. Même si président et députés rendent des comptes à tous les électeurs, ils décident pour le collectif sans consulter incessamment la base, appuyés par une administration elle-même fortement hiérarchisée. Nul besoin d’être né au siècle dernier pour constater la mutation des démocraties contemporaines en anarchies. Résultat plutôt bénéfique dans les petites collectivités culturellement homogènes, plutôt désastreux dans les grands melting-pots nationaux. Exemple du côté bénéfique : l’Islande, qui a songé à élire son président au tirage au sort, tellement le résultat ferait peu de différence. Côté désastreux : les pays européens à forte composante migratoire, aux contrastes sévères entre ville et campagne, qui  éclatent en factions radicales menées par des figures populistes flamboyantes.

Quel rapport avec notre vaccin ? Il est essentiel. Les anarchistes ne reconnaissent pas la prééminence du collectif voire nient son existence. Culte de l’individu-roi. Priorité à mon univers personnel. Je cherche des opinions similaires pour le rendre inaliénable. Pour l’anarchiste, le groupuscule remplace le collectif. Tandis que pour le démocrate, l’existence de multiples opinions batailleuses impose d’accorder un pouvoir supérieur au collectif. Au risque sinon de laisser s’installer le chaos, les conflits entre communautés transformées en gangs. Ce pouvoir se fonde sur les deux principes cités: opinion majoritaire et hiérarchie d’expertise. L’autorité du consensus s’impose au démocrate, qui accepte la contingence sociale. Mais l’individu-roi, anarchiste, ne l’entend pas ainsi. Il n’existe aucun pouvoir au-dessus de sa conviction et celle de ses clones. Démocrate et anarchiste ne vivent pas dans la même société. C’est l’une des clés pour comprendre le fossé entre pro et antivax.

Intérêt individuel versus collectif

Les arguments des antivax se rapportent à l’intérêt individuel. Les effets indésirables concernent les individus ; les traitements curatifs également ; la terreur du vaccin “expérimental“ est personnelle. Les arguments des provax se rapportent à l’intérêt collectif : immunité de la population, protection des groupes fragiles, bénéfice supérieur au risque pour la collectivité. Ces deux intérêts sont divergents plutôt que contradictoires. Ils éveillent chez nous des parties différentes de la personnalité. La démonstration en est caricaturale au centre de vaccination. Les mamans, chantres du collectivisme, amènent les jeunes adultes réticents en les suppliant de nous écouter. Les égotistes, chantres de l’individualisme, tempêtent contre les privations de liberté, mettent en garde contre la pression étouffante des multinationales, ont surtout une trouille profonde et infantile d’être pris pour un cobaye (après 5 milliards de doses). Ils exacerbent dans ce but les dangers de la vaccination. Ils snobent évidemment le centre (quand ils ne sont pas devant avec des pancartes pour dissuader d’entrer), mais leur influence est évidente. Beaucoup de gens se présentent avec une angoisse marquée, voire certains sont presque catatoniques, pétrifiés par les peurs contradictoires du virus et du vaccin. Garantie d’un effet nocebo et d’un ressenti plus néfaste après l’injection. Merci les antivax.

L’incohérence la plus flagrante des antivax est peut-être de voir des écolos militants parmi eux. Ceux-là exigent des privations de liberté individuelle radicales pour sauver la planète et simultanément se scandalisent quand le gouvernement les impose dans un but épidémiologique. Faut-il considérer le ‘tout-vivant’ comme supérieur à ses parties ou non ? C’est un problème, tout de même, d’être holiste seulement quand ça nous arrange. Tâchons donc de garder en tête cette présence du bénéfice collectif pour examiner le détail des arguments pro et antivax.

Les arguments défendables des antivax

Du point de vue individuel, les antivax ont plutôt raison : une majorité d’entre nous n’ont pas un intérêt majeur à se faire vacciner. Le risque de forme grave reste modeste. Une politique initiale possible était de planquer les vieux et les fragiles, puis les vacciner, et laisser courir les autres. Certes les réanimations engorgées auraient trié encore davantage leurs entrants. Mais faisons-nous l’avocat du diable (égocentrique) : par une certaine justice les malades non sauvés  sont ceux à l’espérance de vie la plus faible, qui en plus n’ont pas respecté assez attentivement (ou leur entourage) les mesures de protection. Du point de vue de l’individu en bonne santé qui craint de se faire vacciner, cela n’a pas grand sens de prendre des risques pour ces gens-là. De surcroît, une bonne partie des vieux a courageusement déclaré qu’ils ne voulaient pas voir les jeunes se sacrifier pour eux.

Il faut donc un point de vue nettement collectiviste pour dire : protégeons ces gens-là malgré eux. Ne refusons personne à l’hôpital. Chacun doit faire un effort dans ce but.

Obsédés par l’idée de perdre leur liberté de choix, les antivax forcent le trait sur les alternatives au vaccin. Depuis le début de l’épidémie ils sortent du chapeau des pseudo-traitements curatifs, accusent les provax de tronquer ou retarder les études positives à leur sujet. C’est oublier que les provax sont aussi ceux qui s’occupent des hospitalisés, qu’ils testent continuellement de nouveaux traitements pour désengorger leurs réanimations. Les profanes ne sont pas destinataires de ces essais multipliés depuis deux ans, en particulier les négatifs. Les chercheurs rêvent d’être le nouveau Raoult, cette fois encensé par ses pairs pour un successeur infaillible de la décevante hydroxychloroquine.

Certaines molécules sont encourageantes, aucune n’a emporté la conviction (statistique) jusqu’à présent. Chacune est scrutée avec la même impartialité que l’ivermectine ou le ritonavir. Toujours fâchés avec la cohérence, les antivax attachent peu d’importance aux effets toxiques de ces traitements (dans une maladie qu’ils considèrent comme bénigne) alors qu’ils scrutent au microscope électronique ceux des vaccins. Il existe aussi de méchants labos ne cherchant qu’à vendre de juteux containers de vaccin au plus offrant, et des gentils distribuant l’ivermectine à prix coûtant. Satan joue les noirs, Dieu les blancs. Qui va emporter le marché ?

Les circonspects s’inquiètent ainsi d’une politique ‘tout-vaccin’ au détriment des traitements préventifs alternatifs et des curatifs. C’est mélanger des approches qui ne se concurrencent en aucune manière, si ce n’est la répartition des coûts. Voyons cela :

Préventif collectif, individuel, et curatif

Le vaccin est le traitement préventif le plus ambitieux. Il vise à éviter la propagation du virus et si possible à l’éradiquer. Approche collective. Plus le virus est contagieux, mutagène, incomplètement bloqué par le vaccin, plus il faut vacciner largement.

Les autres traitements préventifs sont individuels. Aucun n’est encore probant contre placebo. Pourquoi ne pas prendre un placebo ? OK tant qu’il n’a pas d’effets secondaires dangereux et qu’il ne détourne pas les ressources d’approches plus vitales. Les antivax sont aussi acerbes contre les vaccins que moutonniers face aux alternatives. Les sceptiques efficaces sont les scientifiques attentifs, aujourd’hui provax en immense majorité. Meilleur traitement préventif ? La prise en charge correcte des comorbidités, gênée par les mesures de confinement. La fin rapide des restrictions est bien un impératif pour les individus.

Les traitements curatifs sont individuels également. La plupart sont plus coûteux et plus compliqués à produire que le vaccin à grande échelle. Il faut rajouter le coût d’avoir laissé la maladie s’installer. Une journée en soins intensifs coûte 3.000€, hors pharmacie. Les séquelles chez le malade ne sont pas chiffrables.

Idéalement une bonne politique préventive rend les traitements curatifs inutiles et réduit les séquelles. Pas de concurrent sérieux au vaccin, sous cet angle ? Alors les ressources doivent être consacrées prioritairement à la vaccination de masse. C’est une conclusion épidémiologique élémentaire. A condition de ne pas nier l’existence de l’échelon collectif comme le font les antivax, acharnés à l’occulter au profit des seules approches préventive et curative individuelles.

Dénigrer la vaccination de masse est lui faire perdre toute chance de succès. Le noyau antivax militant fait un constat d’échec relatif alors que c’est lui qui en est la cause. Rappelons que ce mouvement est venu d’un nombre d’influenceurs ridiculement petit mais pétris d’un fanatisme anti-labos, antivax et anti-autorité sanitaire datant d’avant l’apparition de la Covid.

La foule ne s’est-elle pas auto-confinée ?

Rappelons également que la politique suivie depuis deux ans résulte des pressions majoritaires dans la population avant celle des experts épidémiologistes. La gestion est éthique prioritairement sur économique. C’est le collectif qui a réclamé le contrôle du nombre de morts, la prise en charge de tous les malades, et la réduction de l’épidémie. Les politiciens ont exigé logiquement la mise au point urgente des vaccins. Ceux à ARN ont permis de gagner 2 à 3 ans sur les vaccins classiques. Il s’agit d’une réussite spectaculaire des laboratoires à répondre aux exigences de la population et non d’une volonté de faire des expériences risquées sur elle…

Ces attentes légitimes sur le contrôle des décès ont mécaniquement déclenché les restrictions à la liberté de circuler. La foule s’est auto-confinée. Elle s’est également condamnée à la vaccination de masse, puisque cette politique est la seule actuellement en mesure de mettre fin aux restrictions. Mais elle n’y parviendra qu’avec une couverture très large, à laquelle résiste une bulle importante de la population. Bulle centrée par un petit noyau d’anarchistes convaincus, entourée d’une frange d’internautes auto-persuadés d’être devenus journalistes scientifiques après une formation rapide sur les réseaux, et enfin d’une couche extérieure de gens déboussolés, au contact des provax, qui finissent par débarquer au centre quand le virus frappe à leur porte, souvent en ayant tué des proches.

L’immunité collective n’est-elle qu’une gageure ?

Les antivax torpillent la vaccination de masse en pointant la gageure d’une immunité collective qu’ils ont décidé de rendre impossible avant d’en voir les effets. L’éradication du virus semble effectivement difficile à atteindre, en raison des variants et des réservoirs animaux, à l’image de la grippe. Néanmoins les antivax reprennent en choeur le simpliste « Il faut apprendre à vivre avec le virus », alors que la conclusion juste est « Nous avons encore besoin de temps pour le contrôler correctement ». La recherche est une dynamique permanente. Ce temps va se réduire à quelques années alors qu’il a fallu un siècle pour se débarrasser de la variole. Dans la foulée de la lutte anti-Covid, de grandes avancées thérapeutiques pointent pour d’autres maladies. La Covid, sauveur de l’humanité ? Pour l’instant il s’agit de limiter le nombre de gens qui en feront les frais.

Quelques arguments provax moins connus

Les risques inhérents à la vaccination ne sont effectivement pas inexistants. Mais leur rareté doit inciter au même comportement qu’avec la ceinture de sécurité : vous la mettez sachant qu’en cas d’accident vos chances d’avoir la vie sauve sont très supérieures à celles de décéder à cause de la ceinture. Idem pour le vaccin ; vos chances d’éviter les complications graves sont très supérieures à celles d’en avoir avec lui.

La vaccination des jeunes est licite, même s’ils sont quasi-indemnes de formes graves et moins contagieux que les adultes, pour deux raisons : ils contribuent tout de même à la propagation et leurs défenses efficaces favorisent sans doute l’émergence de variants plus résistants. Les rares myocardites chez les jeunes sont d’évolution favorable. D’une manière générale, plus le virus persiste longtemps et largement dans la population, plus les chances d’apparition d’un variant agressif augmentent.

Courez vous faire vacciner. Deux doses pour éviter peut-être, ultérieurement, de devoir en faire une chaque année.

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Hétéro ? La flemme

S’il existe une puissance indéniable au féminisme militant, c’est bien dans sa capacité à transformer une femme au cortex bien agencé en simplette de service. L’éboulement frappe aujourd’hui Victorine de Oliveira, philosophe par ailleurs merveilleuse intervenante sur Philomag. A la lecture de ‘Réinventer l’amour (Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles)’ elle voit confirmé ce « dont elle avait l’intuition depuis un bout de temps ». Intuition ou friandise pour un psychanalyste ? Victorine se livre sans fard.

Tout militantisme pèche par réduction. Le féminisme n’y échappe pas. Chaque constat de Victorine est un angle caricatural spécialement choisi pour masquer les autres. Voyons cela :

Les femmes sont encouragées par la société patriarcale « à se faire plus petites ». Cf Sarkozy et Bruni sur une couverture de Paris Match, qui inverse leurs rapports de taille. Mais Victorine, faites-vous la différence entre l’apparence que chacun choisit pour le collectif et l’image de soi ? Les femmes très maquillées sont-elles toutes des poules racoleuses ? En vous maquillant, n’êtes-vous pas en train de valider un code patriarcal ? Cette photo, à moi, ne dit rien des relations intimes entre Sarkozy et Bruni, seulement qu’ils souhaitent montrer une image conformiste de leur couple au public.

Victorine « ne compte plus les fois où elle a douloureusement fait l’expérience [de l’infériorité féminine] ». Bellâtres méprisants, inquiétés par son érudition castratrice. Mais Victorine, si vous n’avez toujours pas trouvé votre couple fusionnel, qui donc rencontrez-vous, à votre avis ? Les garçons sensibles, intelligents, drôles, prévenants, si sincèrement amoureux qu’ils sentent valorisés plutôt que menacés par vos qualités ? Non. Ces perles rares sont casées depuis longtemps, depuis le lycée sans doute. Restent les individualistes opiniâtres, ceux qui cherchent dans la femme de rencontre un miroir caquetant « Tu es beau, puissant, génial ». Dans la bouche d’une femme éveillée ça sonne faux. On évite sa fréquentation. Ces hommes-là dissimulent derrière une cuirasse musclée une fragilité terrifiante, une assurance tellement infantile qu’elle ne peut supporter aucun auto-examen.

Vous lirez bientôt sur ce blog ce que signifie le couple, en tant que ‘troisième larron’ surimposé aux egos des deux compagnons. Ce larron est rarement partagé équitablement. Raison du déséquilibre guettant la majorité des ménages. Vivre en couple n’est pas se rendre indispensable à l’autre. Cela, seul votre ego en profite. Rendre le troisième larron séduisant pour l’autre est que lui aussi soit valorisé. Ainsi, Victorine, si tu veux intéresser un compagnon autrement qu’en tant que paire de fesses, est-ce judicieux de parler seulement de tes attentes ? N’est-ce pas faire la même chose que le macho d’en face ? Égotisme peu soucieux d’un quelconque collectivisme dans cette relation…

J’en arrive aux définitions du masculin et du féminin, qui feront également l’objet d’un article indépendant. Je les déconnecte du sexe biologique, pour en faire les parts individualisante et collectivisante de notre personnalité. Il devient facile de parler d’hommes féminins et de femmes machos. Précisons que la féminité n’a rien à voir avec le féminisme. Les militantes sont au contraire des modèles de machisme XX. Je ne m’en fais pas des amies, en parlant ainsi. Mais je leur pose la question : Si la féminité est le collectivisme envers autrui, où est la vôtre quand elle exclue la moitié de l’humanité ?

Victorine n’observe jamais chez une femme cette propension à inférioriser l’autre. Elle n’a pas du fréquenter beaucoup les entreprises. La tendance inégalitaire n’existerait pas chez les homosexuels. Tiens ? Je constate au contraire chez eux la reproduction des mêmes postures féminines et masculines exacerbées, comme chez les hétéro. Si le couple est un lieu d’échange, ce qui passe dans les deux directions n’est visiblement pas la même chose. Peu importe, tant que les deux directions sont bénéficiaires. Un couple fusionnel, c’est deux astres qui gravitent très proches de l’autre, pas une identité unique, pas un double de son propre ego.

Victorine, si au lieu de bâtir des théories sur les étoiles solitaires comme toi-même, tu examinais les couples soudés ? Ceux qui ont réussi à échapper au conflictuel 50-50 en triangulant leur vote avec celui du troisième larron ?

Et pourquoi les mâles qui t’attirent sont-ils systématiquement ces machos aussi durs à l’extérieur que fragiles dans leur assurance intérieure ? L’extérieur séduit-il ton désir de sécurité ou l’intérieur celui de maternité ?

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Pourquoi ai-je quitté QUORA ?

Les qualité formatrices de Quora sont indéniables, mais pas dans le sens proclamé. Les Quorans ont-ils les idées plus claires ? Absolument. Augmentent-ils leur savoir ? C’est plus douteux.

Le gain de savoir repose sur la présence d’experts. L’algorithme de Quora les met-il en avant avec efficacité ? Pas vraiment. Les Quorans auto-sélectionnent entre eux les réponses. Or identifier les experts est mieux fait par d’autres experts que par les profanes. Quand les non-initiés sont en majorité, les réponses pertinentes sont noyées. Pire, les réponses fausses restent très lues. Les experts en petit nombre ne sont pas intéressés à les redresser toutes.

Quora apporte une diversité de positions très supérieure à Wikipédia. Elle est seule à donner libre cours à la multitude de questions que chacun peut se poser. Elle ne gère pas très bien la répétitivité des demandes voisines, lassante pour les experts. La quantité d’idées pourrait en faire un véritable forum d’échanges. Mais l’interface n’est pas adaptée. Vous pouvez passer des heures à voyager dans les réponses et commentaires et n’avoir rien appris ou pire, fabriqué une opinion complètement erronée.

La principale cause de ces défauts ? La hiérarchisation des répondeurs est insuffisante. D’une manière générale le nombre d’experts véritables est insuffisant pour tirer le niveau général des réponses vers le haut.

Comment motiver les experts ? Le staff de Quora s’en est préoccupé. Il vient de lancer Quora+. L’internaute paye un abonnement pour accéder aux réponses des experts, qui sont rémunérés. Du moins pour ceux domiciliés aux USA. J’ai un compte sur le Quora US depuis 8 ans et suis un de leurs meilleurs experts pour la catégorie ‘Consciousness’. Habitant en Nouvelle-Calédonie je ne suis pas éligible à Quora+ en tant que contributeur.

Mais ce n’est pas ce qui me chagrine. Médecin, je ne compte pas sur des revenus de Quora pour vivre. Le point noir est ailleurs. Quora fait la même erreur fondamentale que la presse scientifique spécialisée : établir une frontière abrupte entre experts et non-experts.

Pas besoin de connaissances exhaustives pour avoir des idées originales. Les esprits éveillés sont partout. Les connaissances servent surtout à canaliser ces idées, les trier et les faire “atterrir“ dans la réalité. Celles qui survivent au tri ont le pouvoir de modifier des vues officielles. Impossible avec les barrières actuelles. Pour continuer à soutenir une idée, devenue suffisamment complexe et affirmée, il faut montrer un titre universitaire, et même davantage.

Très peu d’experts sont autorisés à publier. Honneurs et subventions sont très convoités. L’idée originale ne s’engage plus dans un débat virtuel mais dans un conflit bien réel, une lutte pour le pouvoir académique. Aucune chance de succès sans un bon carnet d’adresses.

Système inefficace pour extraire les idées intéressantes dans la recherche en général. Il réduit son champ à la fraction des cerveaux certes la plus compétente, mais infime en nombre. Non seulement le progrès est freiné, mais la barrière experts/profanes favorise la prolifération des thèses irrationnelles et les faux prophètes. Certainement l’une des causes principales des anti et pseudo-scientismes galopants sur les réseaux.

Certes il existe une excellente littérature scientifique disponible, ainsi que des magazines de bon niveau (Pour la Science, La Recherche). Mais ces médias sont noyés au sein d’une multitude croissante de source d’information. Ils ne sont pas progressifs ; en tirer profit demande un bon niveau préalable. Ils ne sont pas relationnels ; impossible de poser vos questions aux auteurs. Le fossé est toujours là.

Quora installe aujourd’hui le sien, alors que ses créateurs devraient simplement accentuer la hiérarchisation entre les répondeurs en améliorant les algorithmes. Ils n’ont pas su résoudre le conflit du principe égalitaire entre internautes avec l’inégalité de leurs savoirs. Au lieu de rendre cette confrontation productive ils l’interdisent. Chacun à sa place. Les utilisateurs sont scindés en Quoran+ et Quoran- ! Car il ne faut pas se faire d’illusion : s’abonner à Quora+ c’est payer+, tandis que quelques-uns reçoivent+

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