La science est-elle une vraie connaissance ontologique ?

L’information ontologique n’est pas ce qu’elle paraît. Pour comprendre ce qui va suivre, il vous faut 3 ingrédients principaux :

Le double regard : une partie de l’esprit simule les processus du réel (pôle Réel), une autre lui porte intention (pôle Esprit). Regards ascendant et descendant échangés entre les deux.

-L’information : ascendante elle est quantitative (issue de micromécanismes communs). Descendante elle se divise en une infinité de qualités différentes propres aux individuations qu’elle forme.

L’ontologie véritable est inaccessible : nous ne pouvons pas accéder à l’informessence authentique du réel. Le regard ascendant est un succédané qui a besoin d’installer une fondation arbitraire au réel pour démarrer. Actuellement c’est à partir du vide quantique et des champs élémentaires qu’il construit un pseudo-regard ontologique.

Un problème apparaît dans la définition de l’information : Pourquoi une qualité lui apparaît-elle avec le regard descendant tandis que seules des quantités sont vues par le regard ascendant ? Les deux regards se concentrent sur la même chose : une structure d’information. L’information étant la brique fondamentale, possède-t-elle intrinsèquement une qualité ou non ? Si le regard descendant est seul à la voir, l’ascendant peut prétendre que c’est une illusion.

Mais le troisième ingrédient nous permet de contredire cette affirmation : le regard ascendant n’est pas véritablement ontologique. Il se contente d’appliquer une forme à quelque chose qu’il ne peut pas saisir par essence. C’est-à-dire que l’information purement quantitative, que nous avons déclarée ontologique, ne l’est pas. Elle se réfère toujours à une gestation inconnue du réel, vers laquelle nous ne savons que lancer des hypothèses mathématiques.

Notre esprit ne sachant que donner une forme à cette exégèse, il abandonne la notion de substance. L’information est purement quantitative pour le regard ascendant parce qu’il ne sait pas quoi lui adjoindre. Il n’en voit pas la nécessité. La structure d’information tient en place toute seule. Mais rend-elle compte de toute la réalité ?

Non. Absolument non. Elle ne rend justement pas compte du qualitatif, dont il est impossible de se débarrasser pour une raison première : nous l’éprouvons en tant que conscience. C’est notre expérience la plus fondamentale, celle qui n’a jamais varié alors que le savoir, lui, entreprenait une longue suite de mutations. Qui ne sont pas terminées.

Le pôle Réel change, l’expérience du pôle Esprit demeure. L’ancrage le plus solide est là. Paradoxalement c’est l’origine du regard descendant qui est la plus fiable et permanente, tandis que celle du regard ascendant prétend être plus fondamentale mais navigue en fait vers ces profondeurs au gré des progrès de la science.

Donc il manque quelque chose à l’information quantitative pour décrire intégralement la réalité. La forme est un placage du pôle Réel sur l’essence de la réalité. Elle oublie quelque chose. Avec ses qualia, le pôle Esprit est plus proche de cette essence… puisqu’il en fait partie. Nous sommes monistes. Si l’esprit éprouve, c’est que le réel fait de même. Il n’est pas qu’une suite de chiffres.

La conclusion est alors celle-ci : nous ne devons pas séparer substance et information dans l’ontologie du réel. Le réel est un. Les séparations ne sont là que pour permettre à notre esprit de le saisir, de s’en décaler. La forme est propriétaire du pôle Réel. C’est bien l’apparence du réel pour l’esprit et non l’essence du réel. L’information quantitative est une réduction du réel à son apparence. Si nous disposions d’un regard ontologique authentique, alors quelque chose de plus s’ajouterait à cette information quantitative. C’est ce quelque chose de plus que le regard descendant traduit en qualités.

L’ontologie est bien qualitative. Le regard ascendant rate ce qui est mis en forme. Il l’oblitère derrière des notions telles que chaleur, énergie, changement. Qui n’ont pas d’explication ontologique. Aucune force, aucun champ, aucun algorithme ne permet de les définir.

C’est en donnant à toute chose réelle la possibilité d’éprouver sa qualité que nous devenons véritablement monistes.

Le paradoxe est que nous ôtons les qualités de la réalité en utilisant exclusivement le pôle Réel de l’esprit pour la décrire. Celui-ci utilise l’information en tant qu’outil descriptif, technicité logique purement virtuelle. En se désolidarisant du pôle Esprit, le pôle Réel réduit la réalité à son aspect structurel. C’est le matérialisme éliminatoire. Il n’arrive à décrire la réalité qu’en éliminant sa propre expérience. Ce qui en fait un faux monisme, et un authentique dualisme entre réalité concrète et monde des illusions.

Renversement épistémique de l’information ontologique : c’est bien l’esprit, par le pôle Réel, qui réduit l’information ascendante à un langage quantitatif. La conception de l’information qui domine la science actuellement est subjective. Elle ne peut être objective qu’en réintégrant sa part qualitative. En effet tout observateur qui détermine cette qualité, qu’il s’agisse d’un esprit humain ou de choses qualitativement identiques, est inclus dans la même réalité moniste.

Le regard ascendant ne l’est que d’une fondation conceptuelle et est faussement ontologique. C’est vrai aussi pour le regard descendant. Il s’ancre en fait sur une fondation conceptuelle à propos de ses propres modes de fonctionnement mentaux. Il est faussement épistémique. Ce n’est pas la fusion consciente qui juge ses parties, mais des parties conceptuelles qui jugent les processus conscients. Direction ascendant à l’intérieur même de l’esprit.

Le seul véritable regard descendant est l’expérience des processus. C’est éprouver le fonctionnement de l’esprit, la séquence des processus surimposés dans la dimension complexe. L’analyse du processus est toujours ascendante, son résultat éprouvé est toujours descendant.

Heidegger a dit : « La science ne pense pas ». Le philosophe traduit ainsi l’idée que la science soit une pure approche ontologique. Elle est fausse. La science pense depuis la représentation qu’elle place à la base de la dimension complexe. Tandis que les représentations non scientifiques (art, religions, fictions) occupent le sommet. Les scientifiques sont fortement contingentées par l’essence du réel, mais toutes sont des productions de l’esprit.

L’histoire de la science est celle d’une religion bouleversée par des changements radicaux de dogme. L’essence du réel, elle, n’a jamais varié. Il faut bien qu’elle ait été pensée pour que ses apparences aient autant changé. Comment son masque pourrait-il être modelé sans quelques fictions ? La science est une interaction permanente entre les pôles Esprit et Réel, au même titre que la philosophie.

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Peut-on éteindre la controverse entre déterminisme et indéterminisme ?

Une race d’extra-terrestres observe la Terre. La différence d’échelle de taille et de temps avec eux est telle que l’activité humaine leur semble un ballet frénétique de grains infinitésimaux, aussi aléatoire que des poussières dans un courant d’air. Impossible, pour ces E.T., de prédire le mouvement de ces grains sauf à l’aide d’une méthode originale : ils peuvent, grâce à une impulsion, matérialiser d’autres particules à la surface de la Terre. Les humains voient ainsi surgir du néant ce qui est pour eux les mets les plus délicieux.

Les humains se précipitent pour s’empiffrer, puis lèvent les bras vers le ciel et chantonnent des prières de remerciement. Les scientifiques E.T. observent les grains minuscules se rassembler et émettre des ondes mélodieuses. Ils s’étonnent de cette physique bizarre : le mouvement des grains est impossible à prédire sauf quand l’impulsion interagit avec eux. Plus stupéfiant encore : les grains, indépendants en temps normal, se superposent au même endroit, amplifiant la mélodie unique. Les E.T. décident d’appeler ce phénomène ’intrication cantique’…

La théorie quantique. Les ouvrages de vulgarisation se font un devoir d’insister sur l’éclatement de notre vision de la réalité qu’elle induit. Mais la connaissance n’est-elle pas une suite de renversements du même genre ? Peu avant la plénitude des choses matérielles avait laissé la place à un vide immense, habité seulement par d’infimes points atomiques. Effacement de la substance. Le temps absolu s’est aussi révélé un leurre. Nous voici accompagnés de notre temps personnel, partagé avec des voisins seulement parce qu’ils évoluent à une vitesse relativement proche de la nôtre. Les points de matière se révèlent être une superposition de probabilités. Est-ce une évanescence beaucoup plus terrifiante que les précédentes ? La réalité est toujours palpable, nos sens nous montrent la même. Elle s’est seulement enrichie, grâce à des technologies étonnantes. Ce sont des plans de réalité supplémentaires qui se créent, pas les précédents qui s’évanouissent.

Je trouve même la théorie quantique des champs curieusement rassurante : elle décrit la réalité à son échelle avec une précision inouïe, et remplace le néant par des lignes de champ et une populace quantique virtuelle grouillante. Jamais le vide n’a été occupé si densément ! Je ne m’étonne plus qu’il soit épuisant de marcher une journée entière, même sans obstacle apparent…

Pour les physiciens, derrière le désagrément de mathématiques difficiles à s’approprier, le regain d’assurance est patent. Désormais la réalité s’affranchit de discussions philosophiques insolubles sur essence et substance. Tout a lieu dans des espaces mathématiques.

Les particules de matière sont devenues excitations d’un champ qui leur est spécifique. Chacune est une onde de la plus petite intensité possible rapportée à l’énergie de la particule. Elle se promène dans son univers personnel. En l’absence de particule, les champs sont toujours présents, au repos, comme une mare sans ride quand aucune brise ne souffle. Mais en fait ils ne sont jamais complètement immobiles, ils oscillent légèrement : fluctuations quantiques attendues par le principe d’incertitude d’Heisenberg.

Le terme ‘particule’ n’est plus adapté. L’individuation quantique peut être aussi bien point, onde, nuage. Ses propriétés ne lui appartiennent plus. Elles n’apparaissent que dans les interactions avec d’autres champs. Cet individu connu seulement de manière mathématique s’appelle désormais ‘quanton’.

Vous connaissez certainement l’expérience de la double fente, dont les variantes montrent toute l’étrangeté du monde quantique. Un photon transite entre émetteur et récepteur par 2 fentes A et B. S’il ne rencontre pas d’interaction, il est impossible de dire s’il passe par la fente A ou B. Il produit une interférence avec lui-même sur le récepteur.

Si un appareil quelconque interagit avec le photon pour savoir s’il passe par A ou B, l’interférence est détruite. L’existence de cette information suffit. Pas besoin de la montrer. Par exemple polariser le photon par le passage à travers une plaque de mica, sans chercher à mesurer sa polarisation ensuite, détruit l’interférence. Si l’information à propos du trajet est annulée (par exemple le photon repasse par une plaque de polarisation à 45° qui change aléatoirement son état polarisé), l’interférence réapparaît.

Ce phénomène quantique ne touche pas que les particules élémentaires, mais aussi les molécules. NH3 a deux configurations spatiales possibles : l’atome d’azote au-dessus ou en dessous du triangle formé par les 3 atomes d’hydrogène. La molécule est dans un état superposé des deux configurations tant qu’une interaction n’a pas précisé la position de N.

Conclusion : un quanton n’a aucune propriété définitive tant qu’il n’est pas impliqué dans une interaction. Emplacement spatial, moment cinétique, spin… toutes les propriétés sont concernées. La mesure de l’une d’entre elles la détermine (effondrement des états superposés dans un état unique appelé eigenstate), mais les autres deviennent impossibles à connaître (principe d’incertitude de Heisenberg).

Deux quantons sont chacun dans leurs états superposés et présentent ensemble toutes les combinaisons de ces états. Une interaction entre eux peut réduire les combinaisons possibles pour une propriété. ‘Intrication’ : mesurer la propriété pour l’un des quantons indique l’état de l’autre. L’intrication ne tient pas compte de la distance séparant les quantons. C’est l’ensemble des 2 quantons qui possède la superposition des états et non plus les quantons individuels. Quand l’ensemble a un état défini, ceux des quantons individuels ne le sont pas. L’ensemble est un niveau d’existence indépendant des parties.

Nous avons là un parfait exemple d’émergence ontologique, qui sonne le glas de l’éliminativisme. Pourquoi les micromécanismes ne sont-ils pas tout ? Parce que ceux-ci sont justement une vision réduite, arbitraire, de la réalité complexe. Les ‘forces élémentaires’ sont elles aussi conséquences de cette réduction arbitraire. Il faut leur ôter leur caractère fondamental. Il n’existe que des forces configurationnelles tout au long de la dimension complexe.

Pour nos quantons, le niveau d’existence ‘fusion’ ne fait pas disparaître celui des ‘parties’. Lors de transitions de phase quantiques, il existe une renégociation entre les parties et leur fusion. L’enfantement d’un niveau par le précédent est continuel. La primauté des parties est indéniable dans l’échange qu’elles entretiennent avec leur fusion.

Le microscopique a introduit des incertitudes étranges et inattendues. Il est tentant de penser que la fusion, en tant qu’émergence, se limite à l’échelon quantique. C’est le discours qui a prévalu jusqu’à la fin du XXème siècle. Un objet macroscopique est vu comme la réunion de ses éléments déterministes et non comme une fusion indépendante s’imposant à eux. Attention quand nous cherchons un exemple. Dans un livre de physique excellent par ailleurs je lis à l’appui de l’éliminativisme : « L’état d’un bureau est la somme des états de ses composants individuels (matériaux, livres, crayons…) et non un bureau imposant son état indépendant aux composants ». Malheureux exemple qui n’a rien d’une fusion. Le bureau peut être vu comme système organisé par un humain mais il n’a rien d’un niveau auto-organisé. L’organisation n’existe que dans l’esprit de son propriétaire. Simple collection d’objets. Un véritable exemple de fusion macroscopique est une bactérie, dont le destin (mouvement, composition, duplication, symbiose, etc) n’est compréhensible que de son niveau d’existence supérieur. Compréhensible en tant que fusion fonctionnelle et non en tant qu’assemblage d’organites (et encore moins de ses molécules). Tandis que le destin du bureau réside… dans l’attachement que lui porte son propriétaire.

Il existe des intrications authentiques dans le monde macroscopique, très loin de l’échelon quantique. Les esprits humains sont intriqués par des mèmes sociaux. Ces concepts clonés dans les structures mentales font décider d’actes similaires aux humains, quelque soit leur emplacement sur la planète. Les humains intriquent leurs mèmes en ayant lu le même ouvrage, ou tenu une discussion qui a coordonné les opinions. Les mèmes sont des codifications de schémas neuraux à l’existence physique indéniable. Comme pour l’intrication quantique, ils ont une distribution et non une localisation spatiale. Existence indépendante de l’endroit, que l’on tend à dire ‘virtuelle’ parce qu’information pure. Mais toute chose matérielle n’est-elle pas de même une structure d’information ? La frontière entre matériel et virtuel est gommée. Nous pourrions remplacer ces termes par ‘information physique localisée’ et ‘information physique distribuée’.

La dissolution de la frontière entre virtuel et réel va bien au-delà du monde quantique. Ce changement de paradigme radical impacte notre vision entière de la réalité. Pour le comprendre, revisitons en premier lieu la version la plus courante de ce paradigme :

Lorsque nous pensons ‘probabilité’ c’est en tant que possibilité virtuelle, éventualité de réalisation parmi d’autres. Une probabilité n’a pas de réalité. Pas encore. Pas tant que le fait n’est pas survenu. Or nous venons de voir que c’est faux au moins pour les faits quantiques. Tous les états d’une particule quantique sont bien réels, chacun affecté de son taux de probabilité. Le quanton est la superposition de tous ces états. Aucun ne peut manquer pour une représentation complète. C’est l’ensemble qui, lors d’une interaction, décide de son résultat. La totalité s’organise avec celle d’autres particules pour former une issue qui est également une superposition de probabilités.

Qu’en est-il des faits macroscopiques ? Avant sa survenue, un fait n’existe-t-il pas déjà réellement, dans les éléments qui forment sa probabilité de réalisation ? Ces éléments sont des piles de niveaux organisés depuis l’échelon quantique. Leurs propres existences sont avérées. C’est-à-dire que leurs probabilités constitutives sont stabilisées dans leurs existences actuelles. Un élément, ou un fait, est l’organisation finale des probabilités surimposées. Une probabilité n’est pas alors virtuelle, dans le sens où elle n’aurait pas encore d’existence. Elle est parfaitement réelle. Elle est simplement susceptible de disparaître au profit d’une autre lors d’une interaction. Comme toute autre organisation.

C’est l’étonnant changement de paradigme apporté par le monde quantique. Pas vraiment une théorie en soi. Plutôt une autre manière de regarder la réalité. L’existence des choses est bien celle que nous connaissons. L’unicité d’un élément ou d’un fait macroscopique reste la même. Ce n’est que dans la constitution, l’existence préalable devenue structure intime, que s’introduisent les probabilités. Chaque élément ou fait doit être vu comme agrégation de probabilités réelles, et quelque chose de plus en tant que cet agglomérat. Fusion qui correspond à la substance que nous attribuons habituellement aux choses.

Notre changement de paradigme éteint l’opposition entre déterminisme et indéterminisme. C’est leur alternance qui construit la réalité. La réalité cherche ses solutions d’organisation possibles en écrivant des probabilités bien réelles. Phase de relation indéterministe. Elle en choisit une. Phase d’organisation déterministe par dessus la structure sous-jacente. Lorsque nous regardons la réalité dans la dimension complexe : par la direction ascendante, elle se constitue de manière indéterministe ; par la direction descendante, elle est constituée de manière déterministe.

Conclusion précieuse pour notre propos : elle nous dispense de faire le choix d’une fondation déterministe ou indéterministe au réel. Un obstacle majeur disparaît. En effet, la théorie quantique est un modèle probabiliste vérifié par le haut, mais impossible à vérifier par le bas. Nous avons la confirmation descendante mais pas l’ascendante. Nous ne disposons pas de la résolution d’observation nécessaire, stoppée par la limite technologique. Impossible d’éliminer les thèses superdéterministe ou déterministe non-locale comme fondation de la réalité. Peu importe : nous n’avons plus besoin de fondation ultime et nous avons dissous l’opposition entre réalité déterminée et indéterminée.

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