Qu’est-ce que le féminin et le masculin ?

Nous connaissons un dualisme franc, femelle/mâle, le sexe génétique. Il fonde une organisation complexe aboutissant à l’humain adulte. A cet étage le dualisme femme/homme est plus flou. Il a pu s’inverser, ou créer des catégories intermédiaires. Le genre a remplacé le sexe. Sans être complètement indépendant. Quel est alors le principe reliant sexe génétique et genre ? Comment le suivre dans le chemin qui sépare génétique et conscience de genre ?

Les paradigmes de nos gènes et nos consciences sont tellement séparés qu’il faut s’interdire d’appliquer l’un à l’autre. La biologie moléculaire ne rend pas compte du genre, les désirs conscients n’expliquent pas le jeu des chromosomes. Supposons que ces paradigmes, s’ils sont reliés, relèvent d’un principe plus fondamental que j’utilise constamment dans Surimposium : le conflit individu/collectif.

Rappelons que ce conflit n’est pas entre ‘moi’ et ‘les autres’, mais un dualisme présent dans chaque individuation, d’un côté “ce qui veut se séparer”, de l’autre “ce qui fait partie du reste”, par ses relations. Je suis ‘moi’ et aussi ‘partie du tout’ formé avec le reste. Le titre exact de ce conflit est : soliTaire versus soliDaire (T<>D).

Appelons ‘masculin’ le versant soliTaire de ce dualisme, et ‘féminin’ le versant soliDaire. Voyons ce qui en émerge.

La génétique est un produit de l’évolution. Les gènes mutent et survivent par la sélection des espèces. L’individu est capital pour l’espèce. Chacun est un nouveau modèle susceptible de montrer des talents décisifs. Le collectif est tout aussi essentiel. Les talents se répandent par coopération et mimétisme. L’évolution tend ainsi à exacerber les deux postures, soliTaire et soliDaire. Les individus forment des sociétés. La manière dont ils l’organisent pour équilibrer les deux postures antagonistes fait la compétitivité de l’espèce.

Cet équilibre, nous le retrouvons dans les gènes. Le dualisme du sexe marque l’exacerbation des postures soliTaire et soliDaire. A charge de chaque individu, ensuite, de les faire dialoguer en soi, puis au sein de ses congénères.

Le versant soliTaire est ‘masculin’, ai-je postulé. Se démarquer des autres par ses performances. Ma survie avant tout. Répandre ma semence le plus largement possible. Toutes ces incitations sont individualistes. Soutenues par une agressivité naturelle. J’impose mes choix. Le versant soliDaire est ‘féminin’. Prendre soin de la progéniture. Trouver le compagnon qui sait protéger. S’intégrer aux autres. Faire du groupe la cible majeure de la survie. Incitations collectivistes, soutenues par l’empathie et la compassion. Je me mets à la place de l’autre. Ses souffrances sont les miennes.

Nous voici munis d’emblée, par la génétique, d’un versant dominant : masculin chez les XY, féminin chez les XX. La physiologie du XY lui fait montrer davantage d’agressivité, de désir de se singulariser. Celle du XX l’encourage à travailler pour les autres, de progresser en réduisant les inimitiés. Le masculin comme le féminin parviennent à se faire admirer… parce que nous en possédons tous une part qui leur est sensible.

Que deviennent ces incitations initiales avec la maturation ? Une société est une culture existante, c’est-à-dire la gestion des rapports masculin/féminin depuis des générations. Organisation longtemps fondée sur le phénotype sexuel. Un souci, déjà, pour ceux qui correspondent mal au phénotype habituel de leurs gènes. Garçons efféminés et filles à forte carrure. C’est un handicap dès le jeune âge. Une partie de l’entourage leur projette une place classique. Mais le reste forme une image discordante. Des brimades, déceptions, agressions à motif sexuel, fâchent éventuellement avec le genre qu’on veut nous attribuer. Au point de se sentir étranger à notre sexe génétique. Mais qu’est-ce qui est véritablement propriétaire dans la manière complexe dont cette sensation s’est formée ?

J’ai l’impression d’être davantage moi-même quand je me suis rebellé contre une influence étrangère. Mais si je suis devenu complètement différent du moi qui n’aurait pas vécu cette rencontre, le nouveau moi est-il vraiment ma propriété ou celle de l’étranger ? Sans doute dois-je admettre au moins que je la partage avec lui.

La lutte pour l’égalité des sexes vise à l’harmonisation des droits individuels. Qu’oublie-t-elle de fondamental ? Qu’il est également essentiel d’harmoniser les devoirs individuels. Dans la relation entre nos parts soliTaire et soliDaire, les deux directions sont importantes. Si nous renforçons le pouvoir d’une partie des individus au sein du tout, il faut trouver pour la société un renforcement équivalent face aux individus, sinon un déséquilibre est créé.

Manifestement, c’est ce qui s’est produit avec le mouvement féministe. Les militantes se sont préoccupées uniquement d’obtenir pour les femmes des avantages individuels équivalents aux hommes. Elles n’ont pas exigé des hommes qu’ils développent leur âme solidaire. Comment auraient-elles pu le faire, alors que la démarche obligeait à mettre la leur en veilleuse ? Pas d’autre moyen. Gagner du pouvoir pour soi c’est inévitablement récupérer de celui qu’on a abandonné aux autres. La tendance a été accentuée par l’élitisme des premières militantes. Elles ont du s’extraire d’une masse féminine largement collectiviste, c’est-à-dire d’après les critères de l’époque : soumise. Une seule voie a semblé pertinente à ces intellectuelles : exalter les valeurs individualistes chez leurs consoeurs. Une autre était possible, à la Gandhi : encourager une résistance passive et générale des femmes face aux abus de l’égotisme masculin. Refuser d’assurer les tâches familiales et communautaires habituelles. Que le chaos consécutif montre la portée du collectivisme. Que les hommes réalisent la nécessité de cette part en chacun, non délégable aux autres.

Mais la culture occidentale est trop fondée sur l’affrontement individuel pour que cette politique ait été choisie. Un siècle de lutte militante a presque haussé les droits individuels des femmes à ceux des hommes. Parallèlement s’est effondré le collectivisme naturel, qu’elles supportaient pour l’essentiel. La société est aujourd’hui celle de l’individu-roi, obligé d’être rappelé à ses devoirs solidaires par une législation carcérale. Très peu d’entre nous donnent ou partagent spontanément. Et ceux qui le font ont l’impression croissante d’être dindons naïfs, parce que leurs efforts sont une dilution homéopathique dans un vaste océan d’indifférence. La société n’est plus symbole d’une solidarité empathique mais vaste administration gérant la répartition des droits individuels. Parce que le collectif a régressé dans nos esprits, son seul support matériel. La solidarité n’a d’autre emplacement que la fusion de nos parts solidaires.

Le masculin a dévoré le féminin. Il dominait chez les XY. Le voici avec la même arrogance chez les XX. Le féminin devenu évanescent, il ne faut plus chercher à l’associer à un phénotype. Le genre a ceci différent du sexe qu’il est devenu trait de personnalité parmi d’autres. Il n’est plus le caractère central qui coordonnait les attitudes des générations précédentes. Désormais ne nous étonnons pas d’un égotisme abrupt chez une femme ou d’une mansuétude outrancière chez un homme. Les tendances physiologiques sont effacées. A quel point ce gommage est-il un diktat culturel inverse du précédent ? Difficile à dire.

Plus fautifs que les féministes dans l’effondrement du collectivisme : les hommes de pouvoir, qui n’ont rien fait non plus pour inciter les mâles à amplifier leur part solidaire. Les machos se sont barricadés. Se disputer avec un nouveau bataillon d’individualistes en jupon, ils savent faire. La bagarre est leur domaine. Mais devenir eux-mêmes plus féminins, pour couper court à la vague d’agressivité de ces dames ? Impensable. Un reniement de soi. Un renoncement aux avantages acquis. Acquis ? Pas vraiment. Donnés à la naissance par une société profondément patriarcale.

Les sages n’ont fait que freiner la tendance égotiste générale pour laisser la société s’organiser en conséquence. Personne n’a averti que l’équilibre final aurait une couleur plus sombre, moins humaine, celle d’un consensus entre prédateurs. Un monde où la solidarité serait gérée et non plus éprouvée. Critiquer le combat féministe est dénoncé systématiquement comme anti-féminisme alors que c’est, de la manière que vous lisez, un anti-combat. Que femmes et hommes se rejoignent ne veut pas dire transformer les premières en seconds. Ce n’est pas une masculinisation générale de la société qui est recherchée.

Qui d’autre aurait pu défendre le collectivisme ? Le rôle semble dévolu à l’église, héraut théorique du vivre ensemble. Mais la foi chrétienne a cessé rapidement, après sa création, d’être une bousculade. Elle a passé des traités avec les pouvoirs terrestres, devenant médiatrice du conflit entre ego(s) et Dieu symbole du collectif. Longtemps patriarcale, elle semblerait indécente à critiquer les efforts des femmes pour s’extraire de leur gangue de soumission. Sa tâche était d’exhorter continuellement les hommes à s’en préoccuper. Nos soeurs ont autant de valeur que nos frères. Pourquoi cela ne s’est-il pas vu dans la vie terrestre pendant des siècles ? Dieu semble bien le reflet de ses créatures plutôt que l’inverse.

Pauvre féminité. Elle n’a plus bonne réputation chez les féministes, qui la définissent comme un « héritage séculaire de disponibilité sexuelle, dévouement maternel et dépendance matérielle ». Penchons-nous de plus près : c’est exactement la définition du collectivisme, du souci envers l’autre prenant le pas sur le souci de soi. En répudiant la féminité, les féministes se débarrassent également de tâches solidaires classiquement assurées par les femmes, entrave à leur réalisation personnelle. Qui va désormais former le ciment du collectif ?

Le terme de ‘machisme féminin’ vous semblera peut-être exagéré. Et pourtant il est devenu naturel chez nos contemporaines. Un exemple ? Je cite Gabrielle Suchon, relayée par Philomag : Les femmes hétéros embrassent le célibat volontaire. Le couple hétérosexuel peut-il être sauvé ? Pas sûr, répondent de plus en plus de militantes féministes. L’autrice réalise-t-elle que son admonestation est le discours radical des mâles célibataires depuis quelques décennies ? Elle taille dans la blessure déjà ouverte par les plus égotistes d’entre eux sur la vie en couple. Cibler les hétérosexuels n’épargne pas les homosexuels. La vie partagée est l’acceptation des différences. Comment sauver l’idée du compagnonnage si le principe même de l’altérité est attaqué ? Féministes et machos narcissiques côte à côte pour découronner puis décapiter la molécule sociale élémentaire !

Ce n’est pas une surprise, puisque tous sont hérauts du masculin. Ils s’attaquent au cercle élémentaire du féminin, de la fusion première avec l’autre. Cette base détruite, le reste de l’édifice social suivra. Plus de conscience collective pour imposer ses diktats à notre ego. Plus de solidarité obligatoire s’imposant à celle que nous n’éprouvons plus.

Voyons de plus près cet archaïsme menacé, le couple. En tant que rouage fondamental, il montre parfaitement comment fonctionne le collectivisme. Le couple est un tout formé par les deux esprits membres. Virtuel mais pas davantage que ces deux esprits. Je suis moi et j’appartiens à un couple. Son existence est une indépendance authentique et mérite un nom tiers. Je l’appelle le « Troisième Larron ». Larron ? Un voleur, le couple ? Bien sûr. Il vole à chacun une partie de son indépendance pour constituer la sienne. Nous acceptons une perte de pouvoir individuel, pour en gagner davantage, conjointement propriétaires de cette puissance supérieure. Pouvoir bonifié par la mise en commun des moyens, et surtout leur coordination qu’il faut améliorer par une réflexion permanente. Le Troisième Larron est agitateur de l’esprit. Chariot élévateur !

Du moins il joue ce rôle si le couple est bien compris comme fusion et non appropriation de l’autre. La mauvaise réputation du couple vient de sa compréhension erronée. Qu’est-ce qui m’attend ? Je ne suis pas en train de m’offrir un smartphone ou un objet d’art. Je cherche la personne qui va profiter de la fusion autant que moi-même. Car c’est son augmentation de pouvoir à elle, additionnée de la mienne, qui fortifie le Troisième Larron. Dans toute association, je me renforce des moyens volontairement unis aux miens, pas des esclaves contraints. Moins j’utilise de pressions, plus je renforce le Troisième Larron ; plus je vois de candidatures spontanées pour y participer.

Il a existé des périodes où le nombre d’engagés n’était pas sévèrement encadré 😉 Malheureusement pour mes lecteurs tentés par le poly-amour, ces communautés conjugales ne fonctionnent qu’entre personnes foncièrement collectivistes. Devenu difficile avec l’essor contemporain de l’individu-roi. Même le couple classique culbute.

Ceux qui pensent que le couple n’a rien d’une contrainte n’ont jamais rien saisi de sa présence. Ou bien ils sont tellement assimilés au Troisième Larron que l’ego est zappé. Cas des couples très fusionnels, récemment formés. Pour les autres, le couple est bien une présence qui s’invite dans leurs décisions. Pas un tyran. Un niveau de conscience supérieur qu’ils partagent volontairement avec l’autre. Amorce d’un engagement collectiviste plus large avec les gens qui nous entourent. Êtes-vous prêt à aller plus loin ? Nous pouvons supposer que ceux qui refusent d’abandonner du pouvoir au couple ne seront pas plus enthousiastes pour en donner à la société. Leur désengagement du devoir individuel est déguisé en “lutte pour les libertés individuelles“. Grands mots du masculin destinés à écraser le féminin. Maintenant nous avons autant de femmes que d’hommes pour les prononcer.

Apprendre à désincarcérer la féminité. Maîtriser la masculinité. Les hommes, parce qu’ils en ont été longtemps esclaves, sont aujourd’hui les plus nombreux à avoir réussi. Ils attendent que davantage de femmes démilitent et les rejoignent.

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